- EUROPE DE L’EST - Les démocraties populaires
- EUROPE DE L’EST - Les démocraties populairesLe terme de démocratie populaire a été utilisé par les partis communistes pour qualifier les nouveaux régimes politiques apparus, après la Seconde Guerre mondiale, soit en Europe centrale et orientale (Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Albanie, puis Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Allemagne de l’Est), soit en Asie (Corée, Vietnam du Nord, Chine). Mais c’est surtout à propos des pays européens que le terme est entré dans le langage courant.Les démocraties populaires européennes sont nées sous l’influence des mouvements de résistance à l’occupation nazie animés par les partis communistes et, dans la plupart de ces pays, avec le concours de l’armée soviétique. Les régimes économiques et politiques mis en place après la guerre présentaient avec celui de l’U.R.S.S. une double ressemblance: sur le plan économique, la nationalisation des grandes entreprises, la remise des terres aux paysans et la direction de l’économie par l’État ; sur le plan politique, le rôle du Parti communiste dans la fixation de la politique du gouvernement.Mais ressemblance ne signifie pas identité. Les nationalisations laissaient subsister certaines catégories sociales: petits commerçants, artisans, professions libérales. Au départ, le Parti communiste n’était d’ailleurs pas seul: il collaborait encore, au sein d’un Front national, avec d’autres formations politiques. Lors de la constitution du Kominform (1947), A. Jdanov définissait la démocratie populaire comme un nouveau type d’État «où le pouvoir appartient au peuple, où la grande industrie, les transports et les banques appartiennent à l’État, et où la force dirigeante est constituée par le bloc des classes laborieuses de la population, ayant à sa tête la classe ouvrière ». À cette époque, la démocratie populaire était présentée comme une forme intermédiaire entre le système capitaliste et le système socialiste de type soviétique.Les régimes politiques ont changé en 1948-1949, et le terme de démocratie populaire a continué d’être employé, mais cette fois avec un nouveau contenu. Au Ve congrès du Parti communiste bulgare, en décembre 1948, G. Dimitrov explique que la démocratie populaire est, comme le régime soviétique, une forme de la dictature du prolétariat. Le terme de démocratie populaire est ensuite progressivement abandonné pour celui d’État socialiste. La plupart des «républiques populaires» deviennent des «républiques socialistes». L’Albanie, avec la Constitution du 26 décembre 1976, devient la république populaire socialiste d’Albanie. Cette évolution dans la terminologie reflète d’ailleurs celle qui s’est produite dans le fonctionnement du régime politique.La caractéristique fondamentale de ces régimes politiques était que le parti communiste y dirigeait la société. Mais les méthodes de direction du parti, et en particulier le rôle joué par les organes collégiaux, par les assemblées élues, par les administrations économiques, par la police, ont varié dans le temps en fonction de la situation politique intérieure et de l’influence exercée par les autres États communistes, surtout par l’Union soviétique.La thèse de Lénine, formulée en 1920, proclamait que «l’unité de tactique internationale du mouvement ouvrier communiste de tous les pays veut, non pas l’effacement de toute diversité, non pas la suppression des distinctions nationales [...], mais une application des principes fondamentaux du communisme (pouvoir des soviets et dictature du prolétariat) qui modifie correctement ces principes dans les questions de détail, les adapte et les ajuste comme il convient aux particularités nationales et politiques»; cette thèse est restée celle des dirigeants communistes. Le problème a donc toujours été, dans les relations entre les partis communistes, de savoir comment une décision prise par un parti dans son pays est appréciée par les autres, et en particulier par le Parti communiste de l’U.R.S.S.; ce problème devient brûlant, si ces partis estiment que la décision n’est pas une application des principes adaptée à la situation nationale, mais une violation de ces principes. L’intervention militaire en Tchécoslovaquie en août 1968 a été une illustration particulièrement nette des limites qui s’imposaient à l’évolution des États socialistes d’Europe centrale et orientale.Si l’on considère l’évolution des démocraties populaires depuis la Seconde Guerre mondiale, on peut distinguer quatre périodes. À une application rigoureuse du modèle soviétique jusqu’en 1956 a succédé, à travers une série de crises (Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie), une phase de diversification limitée. Puis après 1968, derrière une apparente stabilité, cet ensemble de pays caractérisé par des traits institutionnels communs s’est engagé dans une lente évolution qui conduira, en 1989, à la disparition des États socialistes.1. L’application du modèle soviétique (1945-1956)L’expression de la diversité (1945-1947)Entre 1945 et 1947, trois types de régime coexistent dans les différents pays d’Europe de l’Est. Il n’existe pas encore de système uniforme. En Yougoslavie et en Albanie, le parti communiste est la seule force politique; il exerce son pouvoir soit directement, soit par l’intermédiaire du Front national. En Pologne, en Bulgarie, en Roumanie et en Allemagne de l’Est le gouvernement a encore l’apparence d’une coalition, mais le parti communiste a déjà éliminé les autres partis en tant que force politique. En Hongrie et en Tchécoslovaquie, les communistes collaborent avec d’autres partis politiques; le caractère de cette collaboration s’exprime en particulier par le fait que les partis de la coalition gouvernementale se présentent séparément devant les électeurs.Les différences de régime politique se reflètent dans les diverses interprétations nationales de la notion de démocratie populaire. Pour les Yougoslaves, la démocratie populaire est une «forme spécifique de la démocratie soviétique qui commence là où la classe ouvrière, en alliance avec toutes les autres masses travailleuses, tient les fonctions clefs dans le pouvoir d’État» (E. Kardelj). Les Bulgares, au contraire, en 1946, affirment que «la Bulgarie ne sera pas une république soviétique; elle sera une république populaire où le rôle dirigeant sera joué par l’énorme majorité du peuple, formée par les ouvriers, les paysans et les intellectuels fidèles au peuple. Il n’y aura aucune dictature en Bulgarie» (G. Dimitrov). En 1947, les Hongrois présentent encore leur pays comme un mélange de démocratie populaire et de démocratie bourgeoise.Cette diversité cesse à partir de 1948 avec la mise en place d’un modèle unique de démocratie populaire.La transformation des démocraties populaires (1948-1953)La création d’un Bureau d’information des partis communistes et ouvriers (Kominform), en septembre 1947, et la condamnation par l’Union soviétique, en janvier 1948, du projet de fédération balkanique marquent un tournant dans la politique soviétique à l’égard de l’Europe orientale. En juin 1948, le Parti communiste yougoslave est exclu du Kominform. Les accusations qui sont portées contre lui sont à l’image de la nouvelle politique décidée par l’Union soviétique en Europe. Les Yougoslaves sont accusés de «diluer» le parti dans le Front populaire, de ne prendre aucune mesure pour limiter les éléments capitalistes dans le secteur agricole; on condamne, enfin, leur «nationalisme».Dans les autres pays, le parti communiste absorbe en 1948 les éléments de gauche des partis socialistes, et les démocraties populaires s’apprêtent à suivre l’exemple soviétique: priorité à l’industrie lourde, collectivisation de l’agriculture, renforcement de la «discipline du travail». Les résistances au sein des partis communistes sont brisées: exclusions et procès d’opposants. Les communistes soviétiques affirment que «les lois générales de transition du capitalisme au socialisme [...] vérifiées, concrétisées et développées par Lénine et Staline sur la base de l’expérience du Parti bolchevik de l’État soviétique sont obligatoires pour tous les pays». La Yougoslavie, au contraire, critique l’«impérialisme soviétique», dont elle voit la cause dans le «centralisme bureaucratique» de l’État stalinien. Et elle s’engage, dès 1950, dans la voie d’une certaine décentralisation administrative et d’une participation des travailleurs à la gestion des entreprises puis des collectivités locales.Dans le domaine des relations commerciales, un conseil d’aide économique mutuelle est créé, en janvier 1949, entre l’U.R.S.S., la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, que rejoignent l’Albanie dès février 1949 et la République démocratique allemande en septembre 1950. Toutes les relations économiques avec la Yougoslavie sont suspendues de 1950 à 1953. Après la mort de Joseph Staline, le 5 mars 1953, une détente se produit en U.R.S.S., détente dont les effets se font sentir en Europe de l’Est.La libéralisation (1953-1956)La nouvelle politique mise en œuvre suivant le modèle soviétique prévoit un développement de la production des biens de consommation et une aide plus grande à l’agriculture. Corrélativement, on assiste à un relâchement de la coercition au niveau des institutions politiques: l’accent est mis sur le respect de la légalité, des droits des citoyens et de la direction collégiale à l’intérieur du parti.En Allemagne de l’Est, ces changements provoquent une crise. Des grèves et des manifestations ont lieu à Berlin-Est, le 17 juin 1953: la critique que la direction du Parti socialiste unifié s’adresse à elle-même est jugée insuffisante. L’armée soviétique intervient pour rétablir l’ordre.En Hongrie, l’application de la nouvelle politique entraîne des tensions au sein de la direction du parti, en particulier entre le nouveau président du Conseil, Imre Nagy, partisan de la nouvelle politique, et le premier secrétaire du Comité central, M. Rakosi, qui a conservé son poste en abandonnant la présidence du Conseil. En avril 1955, aussitôt après la démission de G. M. Malenkov en U.R.S.S., M. Rakosi obtient l’élimination d’Imre Nagy.En mai 1955, le voyage de Khrouchtchev à Belgrade inaugure une nouvelle phase dans l’évolution des démocraties populaires. Dans la déclaration qu’il signe avec le gouvernement yougoslave, le gouvernement soviétique accepte de reconnaître la diversité des voies vers le socialisme. Après la conclusion d’un traité de paix avec l’Autriche, il signe avec les États socialistes européens le traité de Varsovie, qui fournit une base juridique au maintien des troupes soviétiques en Hongrie et en Roumanie et institutionnalise les relations militaires et politiques de l’U.R.S.S. et de ses alliés.Le XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique, en février 1956, définit une nouvelle orientation de la politique de l’U.R.S.S. à l’égard de l’Occident et de ses alliés socialistes. Mais, paradoxalement, la critique de Staline ouvre la voie à la remise en œuvre des méthodes staliniennes de gouvernement.En Pologne, après les incidents de Pozna de juin 1956, la direction du parti fait appel à W. Gomulka, exclu en 1948. On lui offre le poste de premier secrétaire du parti. Les dirigeants soviétiques, après s’être assurés de l’autorité du parti à l’intérieur et de la collaboration de la Pologne au pacte de Varsovie, se rallient à cette nomination.En Hongrie, la situation évolue de façon beaucoup moins favorable. Après une première intervention soviétique, à la demande du nouveau premier secrétaire du parti, E. Geroe (nommé en juillet 1956), le gouvernement de Moscou formule, dans une déclaration du 30 octobre 1956, sa conception des rapports entre les États socialistes: ceux-ci sont fondés, d’une part, sur les principes d’égalité en droit, de respect de l’intégrité territoriale, de l’indépendance et de la souveraineté, d’autre part, sur la collaboration fraternelle et l’assistance mutuelle des pays de la communauté socialiste dans les domaines économique, politique, culturel. Suit un «appel à la défense des conquêtes socialistes de la Hongrie démocratique populaire et au renforcement de l’unité des pays socialistes». Or, le même jour, en Hongrie, Nagy, redevenu président du Conseil des ministres, annonce l’abolition du parti unique et, le 1er novembre, proclame l’indépendance de la Hongrie. J. Kadar, qui a remplacé Geroe au poste de premier secrétaire du Comité central, rejoint l’U.R.S.S. et, le 4 novembre, les troupes soviétiques interviennent une seconde fois: cette fois, c’est pour mettre en place le gouvernement ouvrier et paysan de Kadar.2. La diversification limitée (1957-1968)Après les événements de Pologne et de Hongrie, l’U.R.S.S. a d’abord cherché à rétablir l’unité par une voie classique: celle de l’élimination des «déviations».L’unité par l’exclusion (1957-1962)En 1957, à Moscou, se réunissent les représentants de douze partis communistes des États socialistes. Ils énoncent les principes qui s’imposent à tous les pays s’engageant dans la voie du socialisme. Le révisionnisme est dénoncé comme étant le danger le plus important, mais chaque parti garde la possibilité de «déterminer quel est, à un moment donné, le danger principal». Les Yougoslaves refusent de signer la déclaration finale, qui les condamne implicitement. Ils seront explicitement condamnés par la presse des autres partis communistes après l’adoption, au printemps 1958, du programme de la Ligue des communistes yougoslaves (VIIe congrès de la Ligue).Mais, à partir des années 1959-1961, la recherche de l’unité prend une direction opposée. Malgré un compromis réalisé en novembre 1960, lors de la conférence des partis communistes à Moscou, le désaccord entre Soviétiques et Chinois menace l’unité du monde socialiste. Pékin reproche aux hommes du Kremlin de rechercher une entente avec les États-Unis. En octobre 1961, l’Albanie, dont les thèses sont très proches de celles des Chinois, est condamnée par Khrouchtchev au XXIIe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique. Au mois de décembre, les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues. En décembre 1962, à la suite des critiques adressées à l’U.R.S.S. pour son attitude pendant la crise de Cuba, Khrouchtchev déclare que le dogmatisme est devenu le danger principal.La diversification (1962-1968)L’Albanie a suivi sa voie propre. Le parti communiste y a conservé l’intégralité de ses fonctions, organisant des campagnes politiques pour réaliser ses objectifs, et se référant toujours à Staline et à la nécessité de la dictature du prolétariat.La Roumanie a cherché à sauvegarder le maximum d’indépendance à l’égard de ses alliés, en particulier dans le domaine de la collaboration économique au sein du Comecon. Dans une déclaration solennelle du 22 avril 1964, le Parti communiste roumain affirme que la souveraineté de l’État socialiste implique que celui-ci détienne dans ses mains la totalité des leviers de commande de la vie économique et sociale; il s’oppose à tout transfert de responsabilités au profit d’organes supranationaux. En même temps, les Roumains réaffirmaient le rôle dirigeant du parti et le droit pour chaque parti de définir souverainement sa politique.La Yougoslavie, pendant ce temps, continue dans la ligne de l’autogestion, en augmentant les compétences des collectivités locales et celles des républiques nationales. À partir de 1966, la Ligue s’engage dans un processus de moindre intervention en ce qui concerne les questions économiques et sociales. Pour les autres pays socialistes, la Yougoslavie reste toujours le pays révisionniste par excellence; on a pourtant peu de renseignements sur la façon dont sont réalisés dans les faits les plans mis en route par le régime de Tito.La Tchécoslovaquie, en 1968, a tenté d’aller beaucoup plus loin dans la modification du régime politique. Critiquant la «concentration monopoliste du pouvoir dans les organes du parti» et la «thèse erronée selon laquelle le parti est l’instrument de la dictature du prolétariat», le Parti communiste tchécoslovaque a voulu introduire la liberté d’information dans le pays et donner aux organes élus les pouvoirs de décision que leur attribue la Constitution. Mais ces conceptions ont été jugées par Moscou trop dangereuses pour les quatre autres États socialistes d’Europe orientale (Allemagne de l’Est, Pologne, Bulgarie et Hongrie) qui se sont joints à l’intervention militaire de l’Union soviétique pour rappeler à la Tchécoslovaquie que son appartenance à la communauté des États socialistes lui imposait le respect d’une ligne politique précise.3. La communauté des États socialistes (1968-1989)Les États socialistes sont, en principe, indépendants et souverains, mais ils appartiennent à un système, à une «communauté» qui exerce une influence sur chacun d’eux.En particulier, la notion de «défense des conquêtes du socialisme», formulée en 1956 à propos des événements de Hongrie et inscrite dans les déclarations des partis communistes de 1957 et de 1960, a été interprétée en 1968 comme impliquant en même temps la condamnation du «socialisme démocratique» tchèque et le devoir pour les autres États socialistes d’intervenir là où «les conquêtes du socialisme sont menacées». Lors du Ve congrès du Parti ouvrier unifié polonais (nov. 1968), L. Brejnev a affirmé que «l’aide militaire à un pays frère pour écarter la menace contre le système socialiste est une mesure exceptionnelle, contrainte, qui ne peut être appelée que par des agissements des ennemis du socialisme à l’intérieur et en dehors du pays, agissements qui créent une menace pour les intérêts communs du camp socialiste». Mais, dans la mesure où l’U.R.S.S. décide seule de ce qui est une «menace pour les intérêts communs du camp socialiste» et s’arroge le droit d’intervenir militairement, la limitation qui en résulte pour l’évolution intérieure des États socialistes est évidente.L’U.R.S.S. a également cherché à renforcer les institutions communes aux États socialistes dans le sens de la «coercition». Elle a en particulier cherché à augmenter les compétences du Comecon et des organes du pacte de Varsovie, alors que des pays comme la Roumanie cherchaient au contraire à éviter de se trouver engagés contre leur volonté. De même, la conférence des partis communistes que l’U.R.S.S. a organisée à Moscou en juin 1969 a visé, dans l’esprit de ses initiateurs, à limiter la portée des tendances centrifuges au sein du mouvement communiste international. La Yougoslavie et l’Albanie étant extérieures à ces organes bénéficient d’une indépendance beaucoup plus grande. Mais des facteurs internes analogues conduisent au maintien de certains cadres institutionnels communs aux huit États.Le 1er août 1975, à Helsinki, Erich Honecker pour la République démocratique allemande, Todor Jivkov pour la Bulgarie, János Kádár pour la Hongrie, Edward Gierek pour la Pologne, Nicolae Ceau ずescu pour la Roumanie, Gustav Husák pour la Tchécoslovaquie, Josip Broz Tito pour la Yougoslavie (seule l’Albanie était absente) ont apposé leur signature à côté de celle de Leonid Brejnev pour l’U.R.S.S. au bas de l’Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Ils avaient, bien entendu, l’intention d’interpréter à leur manière le principe selon lequel «les États participants respectent les droits de l’homme et les libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion» et «favorisent et encouragent l’exercice effectif des libertés et droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et autres qui découlent tous de la dignité inhérente à la personne humaine et qui sont essentiels à son épanouissement libre et intégral». Mais des mouvements se sont créés dans plusieurs de ces pays pour promouvoir un respect véritable des droits de l’homme, notamment la charte 77 en Tchécoslovaquie (1977), le Comité de défense des ouvriers (K.S.S.-K.O.K., 1976) et le Mouvement pour la défense des droits de l’homme et du citoyen en Pologne (1977). Ce sont les idées représentées par ces mouvements qui, dix ans plus tard, triompheront des partis communistes.Les partis communistesLes partis communistes des pays d’Europe de l’Est ont été bâtis sur le modèle de celui de l’U.R.S.S. Les principes sont les mêmes: d’une part, le parti doit être organisé selon la règle du « centralisme démocratique»; d’autre part, il doit exercer le rôle dirigeant, mais sans se substituer aux organes de l’État.La tendance dans la plupart des pays a été de maintenir les règles classiques, tout en laissant une certaine liberté d’expression à l’intérieur du parti et en utilisant davantage les procédures collégiales d’adoption des décisions. L’admission au parti a été rendue plus facile, en particulier par la suppression du stage de candidat. Le nombre des membres du parti, notamment de ceux qui ont une instruction supérieure, s’est élevé. L’exclusion est devenue plus rare. Une certaine diversité a pu ainsi se manifester à l’intérieur du parti.Mais le problème capital, celui des relations entre le parti et la société, reste posé. La répartition des pouvoirs entre les organes du parti, l’administration, les assemblées politiques varie beaucoup selon les pays. Les différences s’expriment par le nombre des interventions du parti et par la formation du rôle de celui-ci. Ainsi, la Ligue des communistes yougoslaves souhaite se réserver une action d’orientation sans exercer directement le pouvoir. Les Tchécoslovaques, de leur côté, avaient, en 1968, prévu d’étendre les compétences des assemblées élues et du gouvernement, mais l’U.R.S.S. et les autres pays socialistes ont imposé leur propre conception du rôle dirigeant du parti.C’est en Pologne ensuite que le problème des relations entre le parti et la société a été posé avec le plus d’acuité. Après une première crise grave en 1970 qui s’est traduite par le retrait du premier secrétaire du Comité central du parti, W. Gomulka, une crise plus grave encore s’est ouverte en 1980. Les accords de Gdansk du 31 août avaient pour la première fois dans un pays socialiste reconnu l’existence d’un syndicat indépendant. Mais l’impossibilité pour le parti, le syndicat Solidarité (et l’Église) d’arriver à un compromis acceptable pour les trois parties conduit le général Jaruzelski, devenu Premier ministre le 9 février 1981, puis secrétaire général du parti le 18 octobre 1981, à décréter l’état de guerre le 13 décembre 1981 et à mettre fin aux activités des syndicats indépendants.En fin de compte, malgré toutes les différences, partout l’essence du régime politique est restée la même: en dernier ressort, c’est toujours le parti qui reste l’élément fondamental et suprême du pouvoir. Mais, à partir de 1988-1989, le parti modèle, c’est-à-dire le Parti communiste de l’Union soviétique, cherche à concilier sa conception de rôle dirigeant avec la démocratie, en accordant une place à l’élection compétitive des députés et en acceptant l’idée d’un transfert de pouvoir aux organes élus.En Pologne, en 1989, le Parti ouvrier unifié polonais accepte de faire des concessions: l’idée d’une table ronde, proposée pendant l’été de 1988, est acceptée en février 1989 et, le 5 avril, un accord est signé avec les forces d’opposition. Il débouche sur un compromis électoral: 35 p. 100 des sièges à la Diète sont ouverts à la compétition. Ils sont presque tous remportés par Solidarité, qui obtient également 99 des 100 sièges du nouveau Sénat. Le Parti communiste perd pour la première fois le poste de Premier ministre: le 12 septembre, le cabinet de Tadeusz Mazowiecki est investi par la Diète par 402 voix sur 415 votants.En Hongrie, c’est d’abord au sein du Parti socialiste ouvrier hongrois que se dessine l’évolution, avec des personnalités réformistes comme Rezsö Nyers et Imre Pozsgay, qui, le 28 janvier 1989, déclare que «l’insurrection de 1956 était une insurrection populaire et non une contre-révolution». En février, le comité central du parti adopte le projet d’une nouvelle Constitution qui introduit les élections libres et abandonne le rôle dirigeant du parti. Le 23 octobre, la Constitution est révisée pour proclamer la République hongroise, qui cesse d’être «populaire».L’administrationDans les pays socialistes européens (comme dans tous les pays industrialisés), l’administration est la clef de voûte du système étatique.Les fonctions gouvernementales, c’est-à-dire la direction de l’économie et de la vie sociale et la conduite des relations extérieures, qui ne sont pas directement exercées par la direction du parti, sont partagées entre le gouvernement, qui est l’organe courant de direction de l’administration, et le Conseil d’État, institution originale propre aux États socialistes. Nées sous l’influence des institutions soviétiques, les institutions du type Praesidium ou Conseil d’État sont composées d’une vingtaine de membres en moyenne, pris parmi les députés. Leur caractéristique essentielle est de pouvoir adopter des actes juridiques modifiant les dispositions législatives. Ces actes, qui doivent ensuite être présentés au Parlement aux fins de ratification, sont plus ou moins nombreux selon l’activité du Parlement du pays. Le Conseil d’État a également pour mission de représenter l’État dans les relations internationales, et il exerce le droit de grâce.Dans quatre des États, les fonctions de président de la République (Tchécoslovaquie, Roumanie) ou de président du Conseil d’État (Bulgarie, République démocratique allemande) sont exercées par le secrétaire général du parti.La Yougoslavie a une présidence collégiale issue des républiques et provinces. La présidence de la R.P.F.Y. est composée d’un membre de chaque république et province, désigné par l’Assemblée républicaine ou provinciale au scrutin secret et en séance plénière de tous les conseils qui la constituent. Le président de la Ligue des communistes en est membre de droit. La présidence de la R.P.F.Y. élit un président et un vice-président parmi ses membres pour un an. Des dispositions analogues avaient d’ailleurs été adoptées par la Ligue: le secrétaire de la présidence du Comité central de la Ligue est élu pour deux ans et pris à tour de rôle dans chaque république et chaque province.Depuis les années 1956-1962, l’administration s’est décentralisée. Des pouvoirs plus importants ont été accordés aux organismes économiques et aux administrations locales. En Yougoslavie et en Tchécoslovaquie la structure fédérale de l’État se traduit par une répartition des compétences entre les administrations fédérales et les administrations républicaines.La représentation des intérêts particuliersLa représentation des intérêts particuliers est assurée par les organisations professionnelles et les organisations de jeunesse, par les partis politiques qui existent encore dans quatre des États et par une institution originale: le front.La situation des organisations professionnelles est la résultante de deux tendances opposées, plus ou moins marquées selon les pays: d’une part, la recherche de l’autonomie de façon à permettre la libre représentation des intérêts des adhérents; d’autre part, la volonté du parti d’utiliser ces organisations pour faire appliquer la politique qu’il a décidée. Cette seconde tendance ne disparaît nulle part mais, dans certains pays, les organisations professionnelles participent davantage à l’adoption des décisions administratives qui concernent leurs adhérents.Les partis politiques qui existent encore en République démocratique allemande, en Bulgarie, en Pologne et en Tchécoslovaquie recrutent essentiellement leurs membres dans des catégories sociales déterminées – comme la paysannerie ou l’intelligentsia. Tout espoir leur est enlevé de se substituer un jour au parti communiste, dont ils reconnaissent obligatoirement le «rôle dirigeant»; ils peuvent cependant, dans la limite des cadres fixés, tenter d’amener celui-ci à modifier ses projets initiaux par des suggestions, voire, dans certains cas, des critiques. Cette possibilité dépend naturellement des problèmes soulevés; elle évolue aussi suivant les périodes. Des conférences communes et surtout la représentation de ces partis au sein des assemblées politiques, à la présidence des assemblées, au Conseil d’État et au gouvernement permettent des contacts permanents avec le parti communiste.Le front est une institution qui regroupe, aux côtés du parti communiste, les partis politiques lorsqu’ils existent et les différentes organisations sociales du pays. Il a d’abord et surtout un rôle électoral: il participe à la formation des commissions chargées d’organiser les élections et contribue à la sélection des candidats qui se présentent au nom du front. Le front a également une fonction politique, dans la mesure où il permet la diffusion de la politique du parti et l’association de membres extérieurs au parti à l’élaboration et à l’application de cette politique.La presse des États socialistes dépend de ces organisations. Moins officiels que les journaux du parti, les organes des syndicats, des partis politiques et du front peuvent, dans une certaine mesure, accorder une place à des idées différentes de celles qui sont exposées dans la presse du parti. Les autres journaux, où signent des écrivains, des journalistes, des étudiants, lorsqu’ils réussissent à poser les problèmes fondamentaux de la société, jouent parfois un rôle politique considérable; les exemples de la Pologne et de la Hongrie en 1956, de la Tchécoslovaquie en 1968 l’ont montré. L’effet des articles qui abordent ces problèmes dépend essentiellement de la situation politique générale: ils peuvent entraîner la publication de nouveaux articles sur des thèmes jusqu’alors ignorés ou, au contraire, amener l’interdiction de ce genre de débats.Les assemblées politiquesD’après les Constitutions des États socialistes, les assemblées politiques sont les titulaires du pouvoir d’État, et tous les autres organes de l’État leur sont subordonnés. Mais, dans la pratique, le rôle du Parlement varie selon les pays.Dans les six pays unitaires, le Parlement est monocaméral. Dans les deux États fédéraux (Tchécoslovaquie et Yougoslavie), il existe à côté du Parlement fédéral un parlement pour chacune des républiques.En Tchécoslovaquie, l’Assemblée fédérale comprend deux Chambres, la Chambre du peuple et la Chambre des nations; les deux républiques tchèque et slovaque ont chacune un Conseil national.En Yougoslavie, la Constitution du 21 janvier 1974 a établi une Assemblée fédérale composée également de deux Chambres: le Conseil fédéral et le Conseil des républiques et des provinces.À l’exception de la Yougoslavie, qui utilise ce système de délégation, partout ailleurs les députés sont élus au suffrage universel direct. Le front, sous la direction du parti, joue un rôle déterminant dans la présentation des candidatures. La véritable sélection se fait avant l’élection et conduit généralement à présenter un nombre de candidats égal à celui des postes à pourvoir.En décembre 1983, le Parlement hongrois a adopté une nouvelle loi électorale qui institue un système de candidatures multiples (deux au minimum) pour les élections locales et nationales. En même temps, il était prévu que 10 p. 100 des députés seraient élus sur une liste nationale, élaborée par le Front patriotique, et où figureraient les principaux dirigeants.Les compétences législatives du Parlement s’exercent par l’adoption des lois, mais aussi par la ratification des ordonnances du Conseil d’État et de la présidence. Depuis 1956, la tendance a été d’augmenter le nombre des projets de loi directement soumis aux parlements et de diminuer au contraire celui des ordonnances. Les commissions sont plus nombreuses et elles sont davantage associées à l’élaboration des projets soumis aux Chambres. La responsabilité du gouvernement et de ses membres est prévue par la Constitution, mais sa mise en jeu reste exceptionnelle. En Yougoslavie, en décembre 1965, le gouvernement de Slovénie, mis en minorité, a démissionné, puis repris sa démission. En Tchécoslovaquie, en 1968, le ministre de l’Intérieur a été révoqué à la suite d’un vote de défiance de la présidence de l’Assemblée.La fin des États socialistesTout cet ensemble s’effondre en quelques semaines, à l’automne de 1989. Après les élections en Pologne en juin 1989, après la proclamation de la République en Hongrie en octobre 1989, c’est la disparition du Mur de Berlin le 9 novembre 1989 qui symbolise le mieux la chute de l’ancien monde.En Bulgarie, le 10 novembre, Todor Jivkov quitte la direction du Parti communiste, qu’il occupait depuis 1954. Et, un mois plus tard, son successeur, Petar Mladenov, promet des élections libres en mai 1990 et l’abolition du rôle dirigeant du parti.En Tchécoslovaquie, à la suite des manifestations à Prague les 17 et 19 novembre, le bureau politique du P.C. démissionne en bloc le 24 novembre. Gustáv Husák, président de la République, démissionne le 10 décembre. Le 29 décembre, l’écrivain dissident Václav Havel est élu président de la République par le Parlement, à l’unanimité. En Roumanie, le 22 décembre, Nicolae Ceau ずescu est renversé. Il est exécuté le 25 décembre. L’U.R.S.S. ne bouge pas. Elle a renoncé à recourir à la force et se borne à prendre acte des changements intervenus. Le 31 août 1990, avec son accord implicite, est signé le traité d’unification entre la R.F.A. et la R.D.A. Le 28 juin 1991, le C.A.E.M. est dissous. Il en est de même pour le pacte de Varsovie le 1er juillet 1991.L’«Europe de l’Est», dénomination plus récente utilisée pour qualifier les «démocraties populaires», disparaît. Elle redevient l’Europe centrale et orientale.
Encyclopédie Universelle. 2012.